Une sculpture monumentale à restaurer
L’artiste peintre Houssein Miloudi avait conçu et réalisé en 1977
la sculpture monumentale « Barakat Mohamed » à l’entrée de la ville d’Essaouira, en s’inspirant de l’’inscription de ce symbole emblématique sacré, qui appelle à la bénédiction du prophète, sur la ville et qui fut tatoué sur toutes les murailles de la ville lors de son édification à l’instar d’une amulette au sens symbolique du terme.
« La transcription de "barakat Mohamed" symbolisait la bénédiction du Prophète sur la cite des balisées. En prologue a mon livre d'histoire de la ville j'avais alors mis en exergue cette citation en date du 15 décembre 1769 de Louis Chénier, consul de France auprès de Mohamed III et père du grand poète du même nom :
« L'Empereur est arrivé àMogador au commencement du mois passé. Il a vu avec toute la tendresse d'un auteur la ville dont il a posé lui-même les fondements. Il a fait établir une batterie respectable à l'entrée du port et fait réparer tant bien que mal quelques fortifications, que le temps avait déjà dégradées. Sa Majesté doit partir à la fin de ce mois pour retourner au Maroc. ». La ville n'a donc pas émergée lentement des méandres du Moyen Age : elle est née de la volonté du Prince. On appelait alors Marrakech « Maroc » et Essaouira devait être son avant - port. En effet, pour marquer son désire de faire d'Essaouira le principal port sur l'Océan, Sidi Mohamed Ben Abdellah commença par bâtir un mur sur les rochers au bord de l'eau. Il fit inscrire la bénédiction du Prophète en lettres coufiques sur la pierre de taille arrachée au flanc de cette ile qui n'est rattachée au continent que par une lagune. L’inscription de « Baraka de Mohamed » est gravée sur pierre de taille, appelle la bénédiction du Prophète sur la cité, qu’on trouve sur les donjons de la Scala du port et de la mer, que les artisans utilisèrent comme devise d’Essaouira en l’incrustant sur de petites plaques de thuya. Houssein Miloudi s’est inspiré de ce symbole pour l’ériger en sculpture monumentale à l’entrée de la ville », note Abdelkader Mana, anthropologue.
De son côté, Edmond -Amran Elmaleh a écrit dans son livre merveilleux : « Essaouira Cité heureuse » : « Comment parler d'une ville qu'on aime et à laquelle on est si profondément attaché ? On vous dira que la passion vous égare et que ce qu'il vous arrive d'écrire à son sujet relève du désordre amoureux de l'imaginaire enflammé. Sans doute. Le bonheur d'être à Essaouira. Ce sentiment s'empare de vous sitôt franchie la sculpture monumentale due à Hussein Miloudi, reproduisant en caractères coufiques l'inscription "Barakat Mohammed", l'invocation à Dieu datant de la fondation de la ville par le sultan sidi Mohammed Ben Abdallah, appelant la protection divine sur la cité naissante… ». Et d’ajouter dans un autre contexte : « « Baraka Mohamed ». Une ville construit son passé. Le fonde, le recrée, arrache à l’effacement et à l’oubli les racines de son existence. « Barakat Mohamed », la bénédiction du prophète, l’invocation écrite en caractère coufique surgit de son sommeil passé, éveille l’attention par sa beauté plastique et ses résonances profondes. Inscrite sur le donjon qui commande l’entrée du port, sur les linteaux des portes dans certaines rues de la ville, elle pouvait passer inaperçue. Mais le peintre Souiri Houssein Miloudi a su lui insuffler une vie nouvelle, une mobilité disponible grâce à ses travaux de peinture et de sculpture. « Barakat Mohamed», l’invocation de la bénédiction du prophète, entoure de son auréole l’extraordinaire aventure de la fondation en 1764 de la ville d’Essaouira par Sidi Mohammed Ben Abdellah. ».Cette œuvre magistrale qui jouit de la propriété intellectuelle de son auteur figure parmi les repères identitaires de la ville. Elle représente aux yeux de tous les passionnés d’art et de tous les acteurs culturels et associatifs une stèle commémorative de référence qui marque la mémoire urbaine de la ville. Paradoxe : cette image fétiche de la ville est désormais à l’abandon et dans un état désastreux et indigne, comme nombre de lieux de l’histoire et du recueillement qui firent la magie de Mogador...
En commentant cette situation de crise, Abderrahmane Benhamza, poète et critique d’art, nous a confié : « Il faudrait repenser la politique patrimoniale menée à Essaouira, en revalorisant la notion capitale de la sauvegarde telle que définie par l’UNESCO, celle des monuments en premier, puis celle qu’ont œuvre à concevoir à célébrer et à pérenniser les créateurs citoyens. Revaloriser aussi la notion des espaces publiques, leur architecturation et leur adaptation à l’environnement humain Essaouira, qui est une ville historique et un pôle cristallisant des aspirations artistiques à l’échelle mondiale, mérite un sort meilleur que ce qu’on lui fait actuellement, une situation qui ressemble à un maintien conspirationnel dans la dégradation ».
Ainsi, l’état de lieu critique de cette sculpture menacée par l’humidité nécessite une intervention urgente en pleine concertation avec l’artiste Houssein Miloudi qui recommande une restauration artistique en bonne et due forme digne de l’histoire patrimoniale de la ville, tout en faisant recours à un habillage en bronza patiné qui nous fait rappel la couleur des anciens canons de la ville.
Il est à rappeler que l’image précaire de ladite sculpture traduit si bien la tragédie de la ville d’Essaouira (belle pudique au manteau d’hermine) qui souffre du manque d’attention et d’affection. Une ville « blessée » qui se drape dans sa dignité pour cacher les stigmates de l’oubli, le vieillissement prématuré et la décrépitude qui, insidieusement la rongent et modifient sa structure. Pour redresser la situation, il faut des mesures d’urgence : dépoussiérer les dossiers et les habitudes et créer un climat propice à la réhabilitation et à la renaissance de la ville de Sidi Magdoul qui reste une ville « à ne pas vendre ».
Né à Essaouira, Miloudi, surnommé « l’ermite d’Essaouira », quitte sa ville natale afin de bénéficier d’une solide formation, notamment à l’Ecole des Beaux-arts de Casablanca puis à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Sa peinture réhabilite le patrimoine archaïque, qu’il soit berbère, arabe ou originaire d’Afrique noire, dans une fidélité à la richesse séculaire de la ville des Alizés. Signes, symboles, figurines sont mêlés et entremêlés pour former une sémiotique de l’immémorial telles les mains protectrices, les talismans ou les osselets qui peuplent ses toiles. Une universalité à chaque fois démontrée lors de ses nombreuses expositions à travers le monde, Europe, Chine, Japon, Etats-Unis. Discret, à l’écart du brouhaha spéculatif et médiatique, Miloudi reste l’un des grands noms de la peinture marocaine.
Légende : Miloudi et son œuvre monumentale
Par Hassan Nour( critique d’art)