La calligraphie, un territoire symbolique

    A  la Galerie  de  la  Fondation de la Mosquée Hassan II


    Les cimaises de la  Galerie des expositions de la  Fondation de la Mosquée Hassan II de  Casablanca

    abritent actuellement  la plus grande  exposition de la calligraphie  regroupant les œuvres les plus représentatives d’une pléiade d'artistes calligraphes qui travaillent  sur l’architecture de la lettre, ses dimensions esthétiques et canoniques.
    Pour Abdellah El Harriri, concepteur de cette exposition, première dans  son genre au Maroc, il s’agit d’une initiative artistique qui vise à mettre en avant   l’art de la calligraphie arabe  qui est associé  essentiellement aux supports sacrés et savants. En dehors de sa  beauté artistique, cet acte créatif  représente  un grand  intérêt historique et culturel évident pour notre actualité.  La calligraphie arabe, explique t-il,  est la forme d'art la plus caractéristique de l'aire culturelle islamique, et les styles de peintures traditionnels en sont directement issus. Elle est à l'origine même de l'art  ornemental au sens plein  du terme, la création décorative étant indissociable des visées utilitaires de l'écriture, car la calligraphie fait partie de l’art de concevoir les choses.


    De son coté, Bouchaib Fokar, le conservateur de la  Fondation de la Mosquée Hassan II de  Casablanca a confié: « La calligraphie arabe est le fondement de l'art islamique au sens moderne du terme. La beauté visuelle des idéogrammes, la technique sur laquelle elle s'appuie et les enjeux plastiques qui y sont liés incarnent l'ensemble des préceptes moraux de la culture universelle. Nous voulons à travers cette exposition rendre  hommage aux artistes calligraphes  qui sont animés par la volonté de valoriser davantage la calligraphie  codifiée, en tant qu’un  un art majeur, ses idéogrammes  et ses idéographies,  et qui sont convaincus que dans  l'écriture d’une lettre  ce n'est pas seulement la composition  formelle qui importe, c'est aussi la force du coup de pinceau et l’œil de l’esprit. »
    Discipline noble et équivalent symbolique de la Majesté et de la Splendeur, l’art de  calligraphie arabe dans sa diversité stylistique  et sa richesse esthétique a été toujours  considéré comme une valeur symbolique voire sacrée. C’est un art  qui  remonte aux temps glorieux de la civilisation arabo-musulman. Il connote dans la littérature comme   dans les textes occultes et poétiques  le  reflet du monde matériel et spirituel. Les styles calligraphiques arabes par rapport à leurs  systèmes iconographiques  coexistent, avec de nombreuses variantes et paramètres canonique. Ils  se sont développés dès les premiers temps de l'islam, avec la diffusion des livres de tous types dans l'aire géographique de dar al-islam. Chaque lettre relate une histoire  et met ainsi  en scène la  métaphore d’une rencontre entre ce ce qui est dit et ce qui est représenté. C’est une véritable incitation à la lecture polysémique, et par la même, à l’écriture. Il s’agit également d’une rencontre secrète  entre un  rêve et une  réalité à vivre dans l’immédiat.  A l’instar de la peinture,  cet art majeur  célèbre l’architecture spirituelle de la lettre qui surpasse toutes les limites conventionnelle de la pictographie, en ouvrant les chemins à la quête d’harmonie et de cohésion à travers l’alchimie du noir de fumée.
    Art vivant, la calligraphie arabe a annoncé, bien avant l’abstraction, les limites de la figuration  et de l’imitation de la réalité. Cette goute d’Or,  comme disait Michel Tàournier, est à la fois un instrument culturel, un outil de conquête et un gage de pouvoir symbolique. Architectes des âmes, les calligraphes, toutes tendances confondues, sont animé par le souci majeur de mettre en valeur la beauté à la fois apparente et latente de la lettre, tout en traduisant leur  habilité  et leur potentiel créatif. Ils se  veulent les acteurs incontournables d’un chantier esthétique géré selon des intentions purement artistiques qui font appel à l’encrage, à la fragmentation et à l’interprétation. Reste à souligner que la calligraphie  qui fait signe est, avant tout,  une gestion iconique des lettres. Elle incarne les symboles et les significations, et nous révèle des fenêtres picturales et des avancées graphiques. C’est une écriture et une lecture au second degré, un voyage métaphorique proche du compagnonnage à l’image d’une partition intime et savante à travers laquelle la lettre nous redonne le sens de la vie. Par son langage  silencieux et ses significations implicites, la calligraphie nous apprend que toute  image  a besoin, pour survivre, d’un territoire symbolique  et toute vie a le verbe qu’elle suscite. Cet art du trait  qui se présente comme une chorégraphie invisible dont le mouvement interne offre à la lettre son espace vital ; celui de la lisibilité et de la visibilité. Tous les systèmes d’écritures renvoient à l’art du signe et dégagent une force d’expression qui échappe à toute appartenance identitaire. Ils nous invitent à la lecture d’un geste murement élaboré, et à une prolifération qui accède à une totale autonomie qui est devenue, par la force des choses, un carrefour de cultures. Chantre de l’indicible et magicien du trait et du silence, le  calligraphe doit son pouvoir à sa patience et à sa doigté. Il a hérité une double mission : la rhétorique de la conscience visuelle  et la reconnaissance savante du signe.
    L ‘ exposition que propose la Fondation de la Mosqué Hassan II interpelle, sans doute,  notre troisième œil et met en valeur les chemins de nos  souffles, de nos cœurs et de nos états d’âme. C’est une initiative qui rendent hommage à un parterre distingué de calligraphes qui sont à mi-chemin de l’âme et du corps, et qui nous convient sans cesse à une autre manière de voir,  de percevoir et de concevoir : « Toi qui veux exceller dans la calligraphie à ton seigneur et maitre il faut que tu te fies, tu devrais préparer un roseau droit et fort, choisir, pour le tailler, le plus fin de ses bords, qu’il ne soit ni trop long ni trop court, que sa fente passe par son milieu et soit équidistante des deux cotés. Tailler le bec est un secret, dont tout ce que je peux te dire, c’est qu’il est tout dans la forme : ni en biais ni en ronde. » (Poème d’Ibn Al-Bawwab sur l’art de la calligraphie, traduit par V .Monteil.).
    Lég :  Abdellah  El Harriri entouré de quelques calligraphes exposants ( photo : Algo)

     

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