Douah est mort, vive Douah

    Douah est mort, vive Douah
    (Num.  BOUHIOUI) 07 Mars 2009

    Il y a à peine quelques jours, vers la mi-février 2009, un cœur encore jeune mais qui a été plutôt malmené s’est arrêté soudain de battre. L’artiste peintre Douah est décédé d’un arrêt cardiaque, semble-t-il, en montant les marches d’un autobus à Kenitra.

    Certains vous diront que, d’après la vie qu’il menait, c’était prévisible. Il vivait effectivement sa vie sans la moindre modération. Peut-être connaissait-il la pensée d’Oscar Wilde : «La modération est une chose fatale. Rien ne réussit comme l’excès » ! Peut-être!

    Sa sensibilité, sa relative innocence et surtout sa faiblesse l’ont emporté après à peine trois à quatre décennies de vie agitée. Son visage était brûlé par le soleil, gonflé par endroits et généreusement parsemé de cicatrices, témoignant ainsi d’une vie plutôt instable et d’une courte existence très tourmentée.

    Tout l’entourage de l’art à Rabat le connaissait. On le voyait de temps en temps dans certains vernissages et à d’autres occasions du même genre. Toujours l’air très gai, toujours ivre et toujours entouré de quelques compagnons sobres qui lui payaient des bouteilles d’alcools de diverses qualités contre ses toiles.

    Quand il était assoiffé, il savait exactement où aller pour trouver une toile vierge, de la peinture et des pinceaux prêts à être utilisés. Ses yeux se fixaient alors sur la toile et sa main arrêtait de trembler durant quelques minutes, juste le temps d‘exécuter une fantasia ou une scène du quotidien des vieilles ruelles de Rabat. Puis il prenait la direction du bar le plus proche pour y griller le petit billet ainsi gagné. Les billets n’avaient jamais le temps de prendre la température de sa poche -Douah ne se refusait jamais rien qu’il pouvait s’offrir.

    Alors que la majorité des gens ne vivent leur vie que dans sa longueur et que, les plus chanceux, la vivent à la fois en longueur et en largeur, l’artiste Douah l’a vécue uniquement en largeur, souvent en dépassant les limites. Il a vécu sa vie comme l’on dessine sans gommer, comme l’on peint sans retouches ni corrections. Peignant ainsi jusqu’au dernier moment sans se soucier de quoi que ce soit.

    Maintenant que son cœur et son corps reposent enfin en paix, son œuvre va sûrement se réveiller et peut-être prendre de la valeur. Comme pour VanGogh et d’autres artistes, son œuvre profitera à presque tout le monde sauf à lui. «La vie est injuste, il faut vous y faire ! » disait Bill Gates. On parlera probablement beaucoup plus souvent de la peinture de Douah et, comme par magie, on appréciera un peu plus son travail. Faut-il que la vie d’un artiste soit une telle tragédie pour que son œuvre soit appréciée à sa juste valeur?

    Le décès d’un Douah en fait naître un autre. Douah «l’artiste» est mort, mais Douah «l’œuvre» vient juste de naître. En d’autres mots : Douah est mort, vive Douah !

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