Il y a six ans disparaissait l’artiste peintre marocain Abdelghani Ezzanga, à Rabat le 3 novembre 2005, à l’âge de 54 ans…
La scène des arts plastiques au Maroc a perdu une figure représentative de la nouvelle sensibilité. Un vrai créateur capable de se renouveler constamment, se remettant en question, tout en gardant l’aisance pour sortir d’une expérience et entamer une nouvelle sans se laisser empêtrer sous le poids du « code normatif de la toile ».
Auteur de peinture tellurique et matérique, Ezzanga était parmi les participants illustres au 1er Salon National d’Art Contemporain organisé par l’Association Nationale des Arts Plastiques et au 2ème Printemps des Arts Plastiques d’Essaouira initié par l’Association Salam des Beaux Arts.
Il était également un peintre rêveur qui fait du geste pictural et organise sa toile selon les codes de la nouvelle abstraction en détournant et s'appropriant de véritables « matières ».Cette « poésie de la résistance » s'organise plastiquement à l'aide du vocabulaire formel issu du matériau lui -même.
La démarche plastique de cet artiste peintre se retrouve de manière identique à travers les dimensions que proposent les matiéristes. Déjà les travaux sont installés dans la lignée du langage synthétique .Il quittent l'espace plan de la toile pour devenir des reliefs à part entière.
L'espace limité de la toile exige un renouvellement radical ; le champ pictural va quitter la surface traditionnelle du tableau pour investir l'espace et exploiter d'autres gammes de couleurs.
Le regretté nous propose une appropriation de la matière avec une démarche investigatrice et des résultats souvent voisins des possibilités formelles du langage plastique.
Equivalent plastique du trait et de la forme, sa peinture composite joue le rôle de trace et permet une reconsidération du lieu et du temps avec une lecture esthétique : la volonté poétique rejoint la perception visuelle qui place le spectateur devant un expressionnisme abstrait régit par le graphisme acerbe des éclairs.
La matière opaque d'Ezzanga offre un nouveau support qui permet toutes les recherches expérimentales, mais le refus de la couleur « unique »engendre aussi son incorporation à l'intérieur d'autres éléments (pierres, briques...).Il s'agit d'un vocabulaire plastique qui traduit fidèlement les prélèvements effectués au cours de ses longues marches et incite à la méditation sur les pérégrinations pédestres.
A travers une démarche proche de celle de TAPIES, l’utilisation de la matière comme substrat de la toile prend forme dans les oeuvres de l'artiste Ezzangua pour réagir contre la culture de « classe », et ce en gardant l'esthétisme et le bon goût.
C'est un acte créatif qui met en relief la charge émotive des vieux murs (grattage, recouvrement...) et des portes anciennes, tout en conservant une composition très structurées, régie par les éléments naturels ou retravaillés qui se transforment en graphismes et traces de la matière.
Hors d’un hommage symbolique, il est temps de mettre en place un lieu hospitalier pour accueillir l’œuvre d’Ezzanga et travailler pour son rayonnement et sa résistance contre la perdition et l’oubli.
Malgré que la mémoire se consume dans notre silence culturel complice, l’œuvre reste et constitue l’empreinte du rêve tatoué du défunt, rêve éclairé, insaisissable et irréductible à toute parole et qui pousse à faire vœu de pauvreté de langage.
Face à la mort et la disparition précoce, il faut procéder à une véritable remise en question des choses artistiques au Maroc pour lutter contre l’injustice et la précarité dont est victime l’artiste et pourfendre la médiocrité environnante. C’est tout un souci aigu pour la situation tragique et paradoxale de l’art, de l’artiste, de la création dans notre pays où la précarité, l’ingratitude, la nonchalance jusqu’à l’exclusion sévissent.