Multiples visions, pour mieux voir

Exposition à Marrakech

« Multiples visions » est l’exposition collective qui s’est tenue à Marrakech à l’hôtel Sofitel, du 27 au 29 mai 2011.

 


Une convention de partenariat aurait été signée par la revue de mode « Maroc Premium », que dirige un photographe sans grand talent (concepteur de guides touristiques alimentaires sur les restaurants, les hôtels, les maisons d’hôtes et autres secteurs juteux) et l’Art Lounge de la chaîne hôtelière susdite pour organiser des expositions de ce genre à travers le Royaume. Celle de Marrakech a réuni à l’occasion onze palettes de la ville plus un Espagnol (Juan Cursach). Elle est le résultat d’une résidence d’artistes au centre d’art contemporain d’Essaouira, qui a eu lieu antérieurement.



A première vue, « Multiples visions » donne l’impression d’un mélange de tendances sans lien commun entre elles, à part celui d’appartenir au même terroir ; il n’empêche que cela valait le détour.
Chez l’artiste Salah Benjkan, le processus plastique, naguère investissant des zones semi-figuratives, verse de plus en plus dans l’abstraction. Une densité inaccoutumée au niveau des couleurs fait accéder son langage à une rythmique plus approfondie et à un lyrisme de bon aloi.
Ahmed Balili a présenté trois œuvres. Sa recherche figurative s’est rehaussée d’une kyrielle de touches à caractère néo-impressionnistes.
Toujours étonnant par la force de sa gestualité et sa rébellion contre les formes scripturales conventionnelles, Larbi Cherkaoui règle maintenant ses compostions comme des partitions chaleureusement orchestrées.
Quant à Mohamed Boustane, l’artiste a ajouté un nouveau rythme à sa calligraphie aérienne, frisant l’abstrait et optant pour un plus grand dépouillement de la lettre. Le blanc en arrière plan est une mise en abyme de l’espace…
Omar Bouragba, le plus ancien de tous, continue de puiser sa matière dans un imaginaire mystique acquis depuis longtemps à l’abstraction.
Depuis sa dernière exposition à la galerie Noir sur Blanc, Ahmed Bensmail est en pleine alchimie chromatique, pianotant des signes aux connotations kandinskyiennes.
Saïd Lahssini développe de plus en plus une iconographie onirique en réduisant l’impact de l’espace, dans des compostions à la verticale, aux formes intriquées.
Noureddine Chater (dont les œuvres ne figurent que sur le catalogue, parce qu’il a refusé de les accrocher…) est accaparé davantage par la couleur et ses muses incommensurables ; l’artiste préfère noyer les lettres dans une palette dominée de plus en plus par la recherche formelle.
Anecdotique, Aziz Khattaf reste libre de ses formes et de ses compositions éclectiques. L’artiste aurait été vraiment moderne dans les années 70 !
Ghany, mi-popartiste, mi-figuratif nostalgique…
Noureddine Daifallah, spirituel et un peu zen.
Juan Cursach critique dans ses « Murs », déclinés sur le ton de l’humour et dans un genre proche de l’illustration, ce qu’il pense en être de l’émigration clandestine…
L’exposition a ainsi réuni calligraphes, figuratifs et abstraits, répartis sur deux espaces proxémiques. Les organisateurs n’ont tenu compte d’aucun classement théorique, ce qui suscite au plan de l’accrochage cette impression de mélange dont nous avons parlé. Sans doute, ils n’ont eu en tête d’autre idée que celle de célébrer un événement pris ici à bras le corps et livré tel quel aux regards.
Toujours est-il qu’il aurait été demandé aux artistes cités de participer aux frais du catalogue de l’exposition (15.000 dhs environ selon certains, dont on ne sait s’ils ont été payés ou non), imprimé en Espagne parce que moins coûteux. Quant aux prix de vente affichés, la revue « Maroc Premium » a prévu une hausse inattendue, pensant se réserver pour elle, en cas d’achat, 50%. Ce que les artistes ont refusé. Le pourcentage aurait été revu à la baisse, puis finalement annulé.
Dépourvue de critères esthétiques qui auraient crédibilisé cette hausse, ladite  revue a l’habitude de mesurer la valeur d’une œuvre au profit qu’elle peut en tirer. C’est ce qu’on appelle en marketing « réalisme de l’argent ». Morale : l’entremise artistique de certains « communicants » induit souvent, très souvent même en erreur !

Abderrahman Benhamza