Huit adéquations des contraires dans l’exposition « Sur les traces de la lumière et de la matière » à Mohammédia

A l’occasion de son inauguration, AMBER GALLERY (Boulevard Hassan II –Mohammédia)

organise une exposition collective intitulée « sur les traces de la lumière et de la matière ». L’exposition, qui dure du 18 mai au 18 juin, propose les œuvres de huit artistes marocains. Eclairage.



Said Ahid

Huit artistes confirmés. Un éventail d’œuvres dont chacune extrait sa singularité du lexique pictural propre à son créateur. Mais une pluralité de créations qui convergent, néanmoins. Car les unes et les autres composent, à un degré ou à un autre, un hymne à la matière et à la lumière. Ou plus formellement, aux traces de l’une et de l’autre, de l’une lorsqu’elle effleure l’autre ou la déflore.
Tel est le mets, royal  autant que raffiné, que propose AMBER GALLERY à l’occasion de son inauguration.
Appartenant au segment des artistes marocains les moins conventionnels, Raja Atlassi, Mustapha Boujemaoui, Bouchta El Hayani, Chafik Ezzouguari, Noureddine Fathy, Mohamed Hamidi, Younès Khourassani et Mohamed Nabili approprie les traces de la matière et de la lumière à la création de  la beauté. Car, en effet, « seules les traces font rêver » (René Char), alors que la beauté, elle, demeure « une promesse de bonheur » (Stendhal).

 



Les œuvres des huit artistes s’exposent comme un sondage persistant des résidus du temps qui se succède à lui-même et du vécu, fastidieux ou précieux, qui se relaye jour et nuit. Des résidus consistant en des calvaires infligés  aux êtres au cours de leurs vies et de leurs cheminements collectifs ou individuels. Des résidus incarnés sous forme de traces qui se métamorphosent, dès lors que l’artiste se les accapare et les convertit en thèmes et interrogations plastiques axés sur l’action de la lumière et les manifestations de la matière, en reflets des cicatrices intérieures du peintre en soi, autant qu’en échos du monde extérieur signifiés picturalement ; le monde tel qu’il est et tel qu’il devrait être.

Par l’entremise de la totalité de son spectre, la lumière s’invite dans le corpus pictural des huit artistes. Autant que la matière qui emprunte, elle, diverses formulations expressives. Mais les traces de la lumière, en tant qu’élément physique et spirituel simultanément, prescrivent son empire aux œuvres. N’est-ce pas elle qui dote la matière du don d’être perceptible ou l’enveloppe du linceul du néant, efface certains de ses composants et insuffle à d’autres l’existence ? N’est-ce pas elle qui est aux commandes du pendule des lumières et des ombres, régulant la révélation des choses ou leur occultation ?

Sondant la lumière, déployée dans tous ses états à travers les œuvres, le regard se trouve, bon gré mal gré, immergé dans les flots impénétrables de « la Station d’une Lumière » d'Al Niffari : en effet, d’un tableau à l’autre la lumière se contracte ou se dilate, se plie ou se  déplie, se cache ou se manifeste.



Scènes de l’imprégnation de la matière par la lumière, et de la répartition des résultantes sur le support en connivence avec les tonalités du spectre, naturelles ou renouvelées, taches ou touches, les œuvres se profilent à l’œil sous l’apparence d’invites. Invites chuchotées au regard de s’émanciper de ses certitudes et héritages obscurcis et standardisés. Car la pérégrination à travers les œuvres  exposées confesse, implicitement pour les unes, explicitement pour d’autres, que « le dévoilement et le voilement » s’ajustent (Al Niffari). Faut-il encore recourir à la vision intérieure (bassîra). Scènes/invites déclamées au réceptionnaire des œuvres, afin qu’il s’affranchisse de la perception purement visuelle et ligue les constituants, charnel et spirituel, du discernement global dans sa quête du décryptage de la « pluralité de signifiés qui coexistent en un seul signifiant » (Umberto Eco).
L’exposition est, en outre, éloge de la matière  telle que sculptée par le pendule des lumières et des ombres.  La matière inerte, usitée ou évoquée, naturelle ou façonnée. La matière mouvante par essence, à savoir le corps, spécifié ou sans appartenance aucune, ou son insinuation, figée sur le support. La matière, matériau pictural ou sujet plastique, germe de la genèse de l’œuvre, dont l’immobilité stipule le mouvement pendant que son être n’est preuve que de sa vocation à  s’effriter, s’enliser dans le néant. Ou alors muer, s’offrir, sous l’impulsion de l’artiste, une seconde vie, un souffle et un sens autres, en totale rupture avec son statut fréquent dans le monde globalisé : la fonctionnalité et la laideur. Aussi, l’inclination à l’annihilation de ce statut est, entre autres, le point nodal vers lequel convergent les propositions plastiques des huit artistes exposants.
Les traces de la lumière et de la matière, nonobstant la condition de ses dernières dans les trente deux œuvres exposées, sont autant de rappels des antinomies entre le monde intérieur des huit artistes et le monde extérieur à leur singularité. Des rappels qui fondent l’adéquation des contraires sur le support plastique élu, tout en faisant offrande à l’œil du plaisir de participer à la rédaction finale de l’ébauche de sérénité qu’elles proposent en tant que traces.